30 novembre 2010

Les quatre « implants mentaux » de l’affaire Wikileaks

par Pino Cabras, sur Megachip le 29 nov. 2010


Alors qu’on nous raconte qu’avec les premières bribes des nouvelles révélations de Wikileaks, nous assistons à l’éclatement du « 11-Septembre de la diplomatie », ou plutôt, « du 11-Septembre d’Internet », il est nécessaire de clarifier une chose : aucun individu, aucune organisation n’est en mesure de lire 250.000 documents en peu de temps. 
Et donc, ce qui nous parvient est un flux « filtré » de documents. Et ceux qui appliquent ce filtre, pour l’instant, sont ceux qui constituent la vieille machine des médias traditionnels.  S’il s’agissait d’un 11-Septembre, nous serions dans la phase initiale du traumatisme médiatique, celle qui donne l’implant mental(*) (imprinting en anglais), l’apprentissage de base du Nouveau Monde dans lequel nous entrons et des nouvelles croyances auxquelles nous devons adhérer. Une fois les esprits conditionnés par ce choc, les éventuelles relectures faites ultérieurement iront à contre-courant et en cela, partiront défavorisées.
Le premier « implant mental » tient justement dans le concept de « traumatisme ». Le moyen est le message lui-même. Moyen et message sont : subir un traumatisme. Comme si avant la diffusion de secrets par Wikileaks, il n’existait aucun moyen d’interpréter la politique, la diplomatie, les secrets, les intrigues habituelles entre États. Comme si  l’interprétation historique – elle aussi fondée sur des archives et des documents, mais sur des périodes plus longues [permettant la] réflexion, devait céder le pas à l’asservissement à l’événement émotionnel.
Le deuxième implant mental concerne l’importance attribuée aux thèmes chers à la diplomatie états-unienne. Nous avons sous les yeux les dépêches des ambassadeurs, rédigées dans un style franc, brutal, mais non pour autant exemptes  de mensonges, d’erreurs prospectives, de préjugés, de platitudes maladroites, ou de  retenues. Cela nous fournit une vision parcellaire du monde, qui, de plus, est loin d’être la seule possible. On continue par exemple de cristalliser et d’exagérer la peur de l’inexistante bombe atomique iranienne, et dans le même temps on persiste à ignorer les bombes atomiques israéliennes, elles, bien réelles. Wikileaks et les médias traditionnels, lorsqu’ils sont combinés, confirment au final  les thèmes dominants, tout en bousculant les codes de la diplomatie. C’est exactement ce que fait une guerre, surtout dans sa variante de guerre psychologique.
Le troisième implant est la confusion qui règne sur le Web, tellement forte qu’elle relance ceux qui de ce chaos voudraient arriver à un « nouvel ordre » sur la Toile. Il y a deux ans, nous avions publié l’avertissement du juriste qui connait le mieux la Toile, Lawrence Lessig, qui annonçait qu’un « 11-Septembre d’Internet était sur le point de se produire », un événement qui catalyserait une transformation radicale des normes régissant l’Internet. Lessig révélait que le gouvernement états-unien, comme pour le Patriot Act qu’il avait préparé bien avant le 11-Septembre, avait dans ses tiroirs un « Patriot Act pour l’Internet »  tout prêt, dans l’attente d’un quelconque événement majeur pouvant être utilisé comme prétexte pour changer radicalement le mode de fonctionnement d’Internet. » Tout comme George W. Bush, Obama fait tout pour, en plus de la valise nucléaire (**), se doter du bouton capable d’éteindre le Web. L’événement en cours pourrait pousser de nombreux gouvernements à confier ce nouveau contrôle à quelqu’un. C’est ce que fait la Chine depuis un certain temps d’ailleurs.
Le quatrième implant tient dans l’idée que les secrets sont tous enregistrés, soigneusement conservés dans des carnets papier avec l’en-tête des appareils [d’États], et par conséquent sont inéluctablement amenés à être dévoilés un jour ou l’autre, avec leur cortège de numéros d’enregistrement et de signatures. [En réalité], le véritable pouvoir est essentiellement caché, ses chaines de commandement sont impossibles à remonter entièrement, il est silencieux, évolue dans des circuits extra-institutionnels, se dissimule sous différentes couches de protection et des structures parallèles, bénéficie de bras de levier. Il ne se prive pas pour autant de procédures et d’appareils légaux, mais sans en dévoiler les véritables finalités. Penser que Wikileaks puisse soulever le couvercle des différents niveaux de pouvoir est illusoire, et relève d’une grande naïveté, tout autant que de croire que l’on puisse combattre les puissants seulement en amplifiant la transparence libérale.
[…]
Pino Cabras
Megachip, le 29 nov. 2010

Traduction GV pour ReOpenNews


Notes de la traduction :
(*) Implant mental : Nous avons choisi de traduire le terme imprinting utilisé par l’auteur dans son article par ce terme plutôt que par ceux qu’auraient pu suggérer une traduction littérale, comme "empreinte‘ ou "imprégnation". La notion d’imprinting que veut rendre l’auteur est celle d’une "idée introduite de force dans les consciences", qui semble être mieux rendue par le terme "implant mental" que par ceux d’empreintes ou d’imprégnations davantage surchargés en français.
 (**) Valise nucléaire : Il s’agit véritablement d’une valise accompagnant le Président américain dans ses déplacements, et dont il a seul le code. Une anecdote assez connue veut que Bill Clinton ait oublié à plusieurs reprises ces codes secrets.

Source: http://www.reopen911.info/News/2010/11/29/les-quatre-implants-mentaux-de-laffaire-wikileaks/.

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