19 maggio 2014

L'Ukraine et les dents des oligarques. Le cas Biden

Ci-dessous une traduction en français de mon article intitulé "L'Ucraina e i denti degli oligarchi. Il caso Biden", parue sur le site en ligne blogs.mediapart.fr

par Pino Cabras


Le fils du vice-président Usa élu à un poste central de l'industrie gazière en Ukraine, ensemble avec l'ex président de la Pologne. Les alliances flexibles avec des mondes mafieux.




R. Hunter Biden, fils du vice-président Usa, Joe, a hérité du père un nombre incroyable de dents. Avec ceux-ci il nous sourit énergiquement depuis ses photos officielles. Maintenant on nous informe que ces dents arrachent l'un des fauteuils les plus convoités de l'Ukraine, tout en faisant de lui l'un des nouveaux patrons de la Kiev post-putchiste. Biden le Jeune vient en effet de s'installer dans le conseil d'administration de la compagnie ukrainienne la plus importante d'extraction du gaz, la Burisma, avec ses puits en Europe et son siège à Chypre, où elle est contrôlée par une autre entreprise off-shore de droit chypriote, laBrociti Investments Ltd. On verra par la suite où iront les traces.
Pendant le vol qui l'a amené des cieux de l'élite états-unienne aux hautes sphères de l'oligarchie d'un pays ex-soviétique, le fiston américain a pu lui aussi réfléchir sur comment à changé le mot oligarque. Jusqu'à il y a vingt ans, l'oligarque était un représentant générique d'un système de gouvernement que quelques personnes imposaient à tous. L'oligarque post-soviétique est par contre une chose bien plus spécifique : c'est un homme d'affaires qui a arraché - pendant qu'il occupait une position dominante dérivant de la politique - les immenses richesses publiques sous-tirées par la sauvage privatisation de l'économie soviétique après la chute de l'URSS. Ce type humain est désormais l'unique à être étiqueté comme oligarque. La russophobie qui règne dans le discours public occidental fait le reste : à est, ou plutôt, en Russie, il y a des oligarques ; chez nous, par contre, de sains entrepreneurs à la vertu cristalline qui n'oseraient jamais spolier une nation. Comment définir autrement un De Benedetti ?
Tant pis si un nombre écrasant d'oligarques russes, avant de décider si favoriser ou combattre la nouvelle "verticale du pouvoir" de Poutine, avaient été avant tout des créatures occidentales.
Mais Hunter Biden est là pour nous rappeler, avec son cursus honorum et ses dents, serrées sur une cuillère d'argent, que les oligarques existent même ici à l'Ouest, et prospèrent et fréquentent tous les couloirs qui conduisent aux salles de l'argent, des gouvernements, de l'intelligence. Avec une colossale 'exusatio non petita' (justification non demandée) à Washington ils essayent néanmoins de nous le dire : d'après eux, les entrées au gouvernement pour le fils du 'number one' de la Maison Blanche, ne comptent pas. Et par conséquent Biden a obtenu sa nomination dans la lointaine colonie européenne seulement par la voie de son curriculum. Si les faits nous diront autre chose, c'est de notre faute, qui serons prévenus.
C'est seulement une coïncidence, en effet, que le 21 avril Biden le Vieux amène son dentier à Kiev pour dicter ses volontés, et que justement dans les mêmes jours Biden le Jeune devienne l'homo americanus de l'agence la plus stratégique du Pays, en pleine bataille du gaz.
Le soupçon et que là-bas il faille un oligarque expérimenté, justement, qui fasse office d'agent de liaison entre l'oligarque local et les optimates de Washington. Et le docteur Hunter Biden avait vraiment le curriculum adéquat pour cette tâche urgente : carrière universitaire auprès des universités privées les plus prestigieuses et élitistes, et puis un travail impressionnant d'inter-connexion intérieure et internationale entre multi-nationales, organisations non gouvernementales imbues de valeurs (d'argent) gouvernementales, bureaux légaux de super-lobbyistes, etc.
Surtout, Hunter Biden est l'un des collaborateurs les plus étroits du président de la National Democratic Institute for International Affairs (NDI), une organisation crée par le gouvernement Usa en tant qu'émanation du National Endowment for Democracy (NED) pour canaliser les fonds et les donations visant à "renforcer la démocratie" dans 125 nations différentes. C'est-à-dire un quémandeur politique, l'une des usines des révolutions colorées de la moitié du monde, présidée rien que ça, par Madeleine K. Albright, ex Secrétaire d'Etat à l'époque de Clinton et du bombardement de la Serbie. C'est la même personnalité politique qui dit à la TV qu'un demi-million d'enfants morts par embargo en Iraq avait été "un prix juste", que ça en avait valu la peine ("the price is worth it?")
Madeleine Albright - 60 Minutes

Biden se choisit de bonnes compagnies. Toujours ensemble avec Albright, il est parmi les administrateurs du Truman National Security Project, un centre de formation qui emploie des ressources colossales pour former des générations entières de représentants politiques progressistes autour des thèmes de la sécurité nationale. Lorsque vous entendez quelque vague représentant de la gauche qui parle bien de la guerre, vous saurez d'où on lui aura donné la bécquée.
D'après Hunter Biden, son rôle à Kiev consistera à donner les bons conseils sur "transparence, corporate governance et responsabilité, expansion internationale et d'autres priorités" afin de contribuer, rien que ça, " à l'économie et au bien-être du peuple ukrainien ".
On se croirait entendre les mots prononcés en 2003 pour l'Iraq par Paul Bremer, le gouverneur colonial installé par le président George W. Bush lorsqu'il envahit et dévasta ce pays. Mais tandis que les impérialistes républicains avaient une conception rudimentaire de l' "exportation de la démocratie", le monde de l'NDI est plus ductile, parce qu'il affirme que "l'NDI ne présume pas d'imposer des solutions ni considère que le système démocratique puisse être dupliqué quelque part ailleurs." Tout au plus, l'NDI "partage des expériences et offre une série d'options de manière à ce que les leaders puissent adapter ces pratiques et que les institutions puissent travailler mieux dans leur environnement."
"Adapter" est donc le mot-clef. Et les impérialistes démocratiques américains en Ukraine se sont "adaptés" tellement qu'ils se sont alliés avec des partis à tendance fasciste et des formations para-militaires nazies.
Il s'agit d'une alliance scandaleuse qui n'embarrasse aucunement les représentants du Parti Socialiste Européen. De la même manière qu'elle ne scandalise pas le multi-milliardaire Ihor Kolomoyshyi, fondateur de la European Jewish Union, double citoyenneté ukrainienne et israélienne, co-propriétaire de la banque Privat et de plusieurs sociétés qui ont détecté de grosses réserves de gaz naturel justement dans les zones ukrainiennes dans lesquelles se poursuivent les combats.
Une enquête de Forbes a décrit très bien la manière dont Kolomoyskyi a fait fortune : "Kolomoyskyi a employé des forces "presque-militaires" de la banque Privat pour faire valoir l'achat hostile d'entreprises, enrôlant un groupe de "hooligans, armés de battes de baseball, des barres de fer, de gaz et des pistolets avec des balles en caoutchouc et des "tronçonneuses" pour prendre par la force un complexe sidérurgique à Kremenchuk en 2006 et a employé "un mix d'ordres du tribunal falsifiés (souvent par la main de juges et /ou de greffiers corrompus) et de manières fortes" pour remplacer des administrateurs dans les conseils d'administration dans les sociétés dont il achetait les participations".
Probablement chez Forbes, ils n'ont pas beaucoup de familiarité avec la chronique anti-mafia, qui emploierait des concepts plus courts pour décrire le profil criminel d'un tel personnage.
Le président putchiste Turchynov, en tout état de cause, l'a élu gouverneur de l'Oblast de Dnipropetrovsk, une région frontalière avec les points chauds de la révolte des russes d'Ukraine. Kolomoyskyi a promis "une taille pour qui capturera des militants soutenus par les russes et des récompenses pour qui dépose les armes".
Ce magnat de la finance et du gaz - dans le temps qui lui reste, à part celui consacré aux affaires entre groupes mafieux - sera l'un de ces champions de "transparence, corporate governance et responsabilité" avec lesquels aura à négocier Mister Biden jr.
Et ici il y a un point encore plus intéressant.
Le site de documentation anti-corruption ukrainien (AntAC), d'inspiration assez américaine, en 2012 a essayé de reconstruire à qui puisse appartenir réellement la Burisma, qui se présente comme la vitrine la plus exposée à la lumière du soleil de la chaîne propriétaire de l'entreprise gazière. Une fois qu'elles se déplacent dans le territoire financier off-shore, les traces deviennent plus difficiles, comme une chasse mondiale au trésor
Nous avons vu que la Burisma est contrôlée par l'entité chypriote Brociti Investments Ltd, qui l'avait rélevée des propriétaires précédents, les oligarques Mykola Zlochevsky (ministre de l'énergie du président Yanoukovitch déstitué) et Mykola Lisin (mort entretemps). Il semblerait que dans le schéma financier de la vieille Brociti soit impliquée une autre grosse entreprise du secteur des hydrocarbures, la Ukrnaftoburinnya. Si nous voulons savoir qui possède Ukrnaftoburinnya, les traces reviennent à Chypre, où 90% de la société se trouve dans le ventre de la Deripon Commercial Ltd. Ici nous devons faire un vol plus long, parce que la Deripon est contrôlée à son tour par une holding des îles Vierges britanniques, la Burrad Financial Corp. Là-bas le brouillard, malgré les tropiques, devient épaississime. Mais le nom de la Burrad n'est néanmoins pas insignifiant, parce qu'il revient dans plusieurs enquêtes qui reconstruisent les opérations financières gérées par la banque Privat. C'est-à-dire la banque Kolomoyskyi.
Pour Forbes, cependant, reste probable que le propriétaire soit encore Zlochevsky (avec la possibilité d'un double jeu de sa part).
Je le sais, vous vous êtes perdus. Moi aussi. Mais j'essaye de résumer.
Kolomoyskyi, moyennant des sociétés off-shore, était le dominusde la Burisma, l'entreprise la plus importante d'extraction du gaz en Ukraine, dans laquelle est actuellement employé ce dentu de Hunter Biden. 
Kolomoyskyi l'a officiellement cédée, grâce à un schéma financier qui lui était familier, à une entreprise off-shore dont nous perdons la trace des propriétaires.
En même temps, Kolomoyskyi est devenu une autorité politique territoriale de référence pour les aires dans lesquelles on présume la présence de grandes réserves de gaz en possession de la société dont Biden est administrateur.
L'Ukraine, grâce aux nouvelles technologies extractives pour les hydrocarbures développées dans les dernières années par les Usa, est désormais un centre d'attraction pour les explorations et l'exploitation de nouvelles aires. Le soin apporté à ces gisement - maintenant pleinement exploitables dans l'orbite américaine - menace ouvertement la position dominante de Gazprom, c-est-à-dire la poutre énergétique maîtresse de la puissance russe renaissante.
Le fait que le coeur du pouvoir Usa se dérange pour gérer de si près l'affaire du gaz en envoyant le fils du Vice-président confirme l'importance croissante de cette partie. Seulement la sub-alternance, la possibilité d'être mis sous chantage, et les misérables ambitions sous-dominantes des politiciens européens pouvaient consentir à ce jeu.
Ce n'est pas un hasard si l'autre éminent conseiller d'administration de la Burisma - un profil lui aussi tout politique - soit l'ex-président de la Pologne, Aleksander Kwasniewki, un champion de l'ingérence atlantiste (et polonaise) en Ukraine.
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Le représentant du Kremlin, Dmitri Peskov, ironise, pendant qu'il déclare de ne pas voir de conflit d'intérêts dans le rôle de Biden. "Au fond, comme tout le monde sait, il n'y a pas pas de gaz du tout en Ukraine. Le gaz en Ukraine est russe." Et il montre les dents. Les siennes.



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